2 août 2021

L’e-sport est-il l’équivalent du sport traditionnel d’un point de vue juridique ?

Depuis le milieu des années 2000, la popularité – et les retombées économiques – des compétitions de jeux vidéo ont connu une croissance fulgurante. L’ampleur du phénomène est telle que le Comité International Olympique (CIO) envisage même d’intégrer certains « sports électroniques » (ou « e-sports ») aux Jeux Olympiques dès 2028. Le droit du sport s’applique-t-il à ces nouvelles pratiques ? Doit-on prévoir l’émergence d’un code de l’e-sport ? Tour d’horizon des enjeux du secteur.

Il s’agit d’une tendance de fond, l’e-sport connaît une croissance explosive : en 2021 le secteur devrait dépasser pour la première fois le milliard de dollars en revenus ($1,084 Mds, soit +14,5 % sur l’année précédente) et réunir 728,8 millions de spectateurs (+10 %) dans le monde. Le marché français n’est pas en reste et compte parmi les dynamiques en Europe. En effet, son chiffre d’affaires est estimé à 50 millions € en 2019[1].

Face à la rapide progression de leur discipline, les e-sportifs tendent à se structurer : l’Agence Française pour le Jeu Vidéo comptait déjà environ 200 clubs d'e-sport amateurs, semi-professionnels et professionnels, en 2020[2]. Autant de structures soucieuses de poursuivre leur développement auxquelles le législateur va devoir apporter un cadre adapté.

Un modèle trop ludique et diversifié pour l’e-sport

La question de la performance physique, comme l’a souligné Me Sébastien du Puy-Montbrun, et plus précisément de savoir si « l’e-sport ne possède que les traits d’une activité ludique ou également celle d’une activité – suffisamment – physique pour être qualifiée de sport »[3], fait partie des difficultés rencontrés par les acteurs de l’e-sport. Si la jurisprudence refuse pour l’instant de reconnaître le caractère physique des jeux vidéo, dont la grande majorité reposent sur les activités motrices des joueurs, Me du Puy-Montbrun estime que l’on peut s’attendre à une évolution des mentalités sur ce point.

En revanche, la question du « caractère bien défini des règles » s’avère plus problématique étant donnée la multiplicité des formats et des règles, obstacle majeur à une codification uniforme des pratiques e-sportives. En témoignent les différences importantes entre les jeux d’e-sports les plus populaires en 2020, auxquelles vient s’ajouter la durée de vie très hétérogène (de quelques années à plusieurs décennies) des jeux vidéo au cœur des compétitions.

Des facteurs institutionnels et commerciaux à prendre en compte

Force est de constater que l’e-sport ne saurait être considéré au même titre que le sport traditionnel aux yeux du législateur. En effet, les dispositions relatives aux compétitions de jeux vidéo sont intégrées au Code de la sécurité intérieure et non au Code du sport.

Pour Me Marine Eisenecker, d’autres obstacles supplémentaires s’opposent à la reconnaissance de l’e-sport en tant que sport. Si, par exemple, la législation considère les échecs comme un sport – malgré leur caractère physique proche de celui du jeu vidéo – « les échecs sont structurés (associations, clubs, Fédérations Nationales et Fédération Internationale) […] mais en la matière, les interlocuteurs de l’e-sport en France sont trop nombreux [et] aucun n’a la légitimité pour représenter la discipline dans son ensemble. »

Enfin, le jeu vidéo, au même titre que n’importe quel logiciel, est une œuvre protégée par le droit d’auteur. Toute compétition de jeu vidéo est donc soumise à l’approbation de l’éditeur concerné, ouvrant la porte à des relations contractuelles, commerciales et financières sans réel équivalent dans le monde du sport. Pour toutes ces raisons et compte tenu des spécificités de la discipline, plaide Me Eisenecker, « il apparaît plus opportun de réfléchir sur la création d’un Code spécifique à l’e-sport plutôt qu’essayer de lui attribuer le statut de sport. »

Quid du statut des e-sportifs professionnels ?

Les « e-sportifs » et leurs homologues traditionnels ont au moins en commun leur statut relativement complexe. Le législateur a cherché à clarifier et à sécuriser ce statut, notamment en proposant pour la première fois aux joueurs professionnels le statut de salarié. À cet égard, la loi Pour une République numérique de 2016 indique que « le joueur professionnel salarié de jeu vidéo compétitif est défini comme toute personne ayant pour activité rémunérée la participation à des compétitions de jeu vidéo dans un lien de subordination juridique avec une association ou une société bénéficiant d'un agrément du ministre chargé du Numérique, précisé par voie réglementaire. » Il s’agit ici d’un modèle similaire à celui des sportifs de haut niveau, qui permet aux équipes (ou aux fédérations) de recourir au contrat à durée déterminée.

Cependant, selon Stéphan Euthine, président de France Esports, ces contrats ne suscitent pas l’adhésion du secteur, jugés trop complexes et peu compétitifs vis-à-vis de l’étranger. Surtout, toujours selon M. Euthine, « les différentes facettes du travail de joueur restent malheureusement incompatibles avec le droit du travail français : 35 heures incompressibles, tournois de plusieurs jours voire semaines d’affilée, temps de repos différés… [L’État nous a proposé] un format qui a été validé par méconnaissance du secteur. »

Quel que soit l’environnement juridique, l’e-sport ne semble pas près de s’arrêter de sitôt sur sa lancée. À mesure que le secteur continue de croître, de gagner en légitimité auprès du grand public et de se professionnaliser, les opportunités ne manqueront pas de se présenter pour concilier les attentes des professionnels, du public et du législateur.


[1] Etude Pipame « Analyse du marché et perspectives pour le secteur de l’esport », Direction Générale des Entreprises, Juin 2021

[2]L'e-sport en France, un marché en phase de structuration, AFJV, juillet 2020

[3]La Semaine juridique, Édition générale – N°46 – 12 novembre 2018 © LexisNexis

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